« Dépités par les contraintes et les délais au Québec, certains immigrants passent par les autres provinces du Canada pour arriver à leurs fins », écrit en ce mois d’août 2024 l’éditorialiste québécoise Stéphanie Grammond.
Voici un premier exemple.
Comme Ottawa a augmenté ses cibles d’immigration francophone hors Québec, il est plus simple et plus rapide pour un immigrant qui parle français d’utiliser le programme express du fédéral pour obtenir sa résidence permanente au Canada.
La personne doit déclarer qu’elle a l’intention de s’installer à l’extérieur du Québec. Mentir constitue une fausse déclaration. Mais une fois arrivée au pays, rien ne l’empêche de déménager au Québec, car l’article 6 de la Charte canadienne indique que tout résident permanent a le droit de s’établir et de gagner sa vie dans la province de son choix.
En agissant ainsi, les immigrants passent sous le radar. Pour le Québec, ce sont des immigrants fantômes.
Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) est conscient que ce phénomène existe. Mais il n’a pas de données précises et récentes pour le mesurer. Seules les données du recensement donnent une idée des déplacements interprovinciaux des immigrants.
Lors du dernier recensement, en 2021, on a constaté que 29 470 immigrants admis au Canada entre 2011 et 2021, avec l’intention de s’établir à l’extérieur du Québec, vivaient désormais au Québec. Mais beaucoup plus d’immigrants ont pris la direction inverse : 80 215 personnes admises au Québec entre 2011 et 2021 étaient allées s’installer dans une autre province.
Cela dit, la dynamique a beaucoup changé, ces dernières années.
Québec a maintenu son plafond d’immigration bas, tandis qu’Ottawa a gonflé sa cible d’immigration de manière inconsidérée. En outre, le fédéral veut attirer plus de francophones. Ceux-ci ne comptaient que pour 2 % de l’immigration hors Québec en 2021. Ottawa vise 6 % en 2024, 7 % en 2025 et 8 % en 2026.
Cet objectif est louable, dans un contexte où il est crucial de lutter contre le déclin du français hors Québec.
Mais si les immigrants francophones viennent ensuite s’établir au Québec, les résultats de la politique d’Ottawa seront faussés. Et les seuils de Québec seront contournés.
Mieux documenter le phénomène serait donc un minimum.
Parlons maintenant d’un deuxième exemple.
Séparés de leur conjoint à l’étranger depuis de longues années, des Québécois songent à déménager à l’extérieur de la province, afin d’accélérer le processus de réunification familiale, comme le rapportait Radio-Canada, à la fin de juin1.
En effet, les délais pour faire venir un conjoint vivant à l’étranger sont déraisonnables : il faut 32 mois pour le Québec, contre 10 mois pour le reste du Canada.
Pourquoi cet écart ?
Lorsqu’un Québécois veut faire venir un membre de sa famille de l’étranger, il doit d’abord soumettre sa demande à Immigration Canada. Son dossier est ensuite soumis au MIFI, qui doit accorder un certificat de sélection du Québec (CSQ). Le fédéral peut alors finaliser le dossier.
Or, la dernière étape fédérale est retardée, parce que Québec impose un plafond d’environ 10 000 personnes par année dans le cadre de la réunification familiale, même s’il accorde davantage de CSQ. Résultat : quelque 40 000 personnes sont prises dans le collimateur.
Pour réduire le nombre de dossiers en attente, la Coalition avenir Québec (CAQ) vient d’annoncer que le nombre de nouveaux CSQ sera réduit de moitié pour les deux prochaines années. La nouvelle est passée en douce, dans la Gazette officielle du 26 juin.
Mais la CAQ ne règle absolument rien en agissant ainsi.
Ce n’est pas souhaitable.
Pour vider la banque de dossiers en attente, Québec pourrait accueillir davantage d’immigrants dans le cadre de la réunification familiale. Après tout, ce sont des gens qui ont déjà un logement et une famille qui les attendent, ce qui facilite leur intégration.
Mais Québec ne veut rien entendre. »
C’est donc ce que relate la journaliste S. Grammond dans « La Presse ».
Les nombreux Sénégalais et Africains francophones voulant émigrer au Québec doivent être conscients de cette situation actuelle. Ainsi, plus de 6000 enseignants, médecins et infirmiers camerounais ont émigré au Canada, pour la seule année 2023.
Le marché du logement et le marché de l’emploi québécois peuvent-ils accueillir cette immigration de plus en plus massive dont le cas camerounais n’est qu’un exemple ? Rien n’est moins sûr.
Par Damel Mor Seck