L’immigration clandestine : le signe d’une douleur sociale, d’un désespoir économique, du drame par des pertes humaines. Un tableau synoptique désolant !
Les causes et les effets semblent parfois produire les mêmes conséquences dont un profond désespoir chez les familles. Dans la synthèse de cet entretien avec M. Boubacar Sèye, Président de l’Organisation non gouvernementale (Ong) d »Horizons Sans Frontières, une ONG européenne plaidant, entre autres, le respect des droits des migrants, nous en (re)faisons une lecture des causes profondes, pour mieux en comprendre les conséquences dramatiques, sans oublier de pointer du doigt les responsabilités partagées.
Horizons Sans Frontières (HSF) est une organisation européenne dont l’objectif, par-delà le souci permanent de sauver, est » de relancer le débat sur l’intégration structurelle et culturelle » des migrants, dit M. Boubacar Sèye, son Représentant au Sénégal. Puisqu’à son avis, « sans intégration, on ne peut pas parler de migrations« . Une condition sine qua non, qualifiée de « processus à double sens » liant « les migrants aux autochtones, dans une relation constructive aboutissant au respect et à la tolérance mutuelle« , explique-t-il.
L’avènement de la chute du mur de Berlin, en 1989, est une date symbolique, marquant l’essoufflement des idéologies classiques, et ouvrant la porte au repli identitaire. La conséquence directe à cela est le « glissement vers l’extrême droite« , analyse M. Sèye. Faisant ainsi de l’immigration et de l’Islam, « mis au banc des accusés par une laïcité juridico-politique« , de la marchandise électorale. D’où le Nouveau Pacte sur le Droit d’asile adopté par les parlements européens, qui augure de lendemains difficiles pour les migrations internationales.
Aujourd’hui, regrette M. Sèye, les droits de ceux qui fuient les guerres et les persécutions à travers une migration forcée, ne sont pas respectés par une Europe qui piétine les Conventions Internationales sur ce sujet et s’érige en forteresse et du coup « se déshumanise« .
« C’est la raison de la création d’Horizons Sans Frontières qui parle de la migration dans toute sa diversité, sa complexité et sa transversalité« , dit-il.
L’ouverture d’un bureau Afrique est consécutive à l’endeuillement du continent dû au drame de l’immigration clandestine. Il s’agit, entre autres actions concrètes, d’user du pouvoir de la sensibilisation et de la persuasion, à travers le programme « No mas muertes ! », pour conscientiser les uns et les autres sur les possibilités d’éviter ces hécatombes en Méditerranée.
Aussi, mettre les décideurs face à leurs responsabilités sur « ce que devrait être la prise en charge des flux migratoires dans un monde mondialisé » où plus d’un milliard de personnes franchissement chaque année une frontière. « Nous en sommes au scénario où cette jeunesse africaine qui est une richesse, est malheureusement devenue un fardeau pour ses dirigeants », regrette amèrement le Représentant d »Horizons Sans Frontières.
Ces hécatombes sur les chemins de l’incertitude…
S’agissant du Sénégal, M. Sèye constate que 2023 a été l’année la plus sombre avec une son lot de drames se succédant et se répétant. Au plan africain, les chiffres officiels – bien loin de ceux officieux – font froid dans le dos : 8000 à 10.000 morts ; encore qu’ils sont de l’ordre des approximations.
Le décompte macabre n’en finit pas face à la recherche d’alternative pour supplanter la destination Europe, en se dirigeant vers l’Amérique du Nord. Afin d’atteindre cet objectif, les candidats africains (tout comme sud-américains d’ailleurs) prennent le risque de passer par des zones de violences endémiques : Nicaragua, Honduras (infestée de gangs appelés « Mara« , responsables ou co-responsables de plus d’une douzaine d’homicide par jour), Bolivie, et aussi le Brésil. Aux morts, s’ajoutent aussi des disparitions dans ces pays de transit vers les États-Unis. Autant d’informations dont les candidats au départ ne disposent pas, parce que quasiment personne n’en parle, à entendre M. Sèye.
Une conférence africaine sur la migration…
L’histoire de ces familles endeuillées par la perte des leurs, soit disparus dans le désert, soit engloutis dans les eaux de la Méditerranée, sans compter l’impossible deuil et l’absence de sépulture, doit forcer la prise de conscience, amener à situer les responsabilités, tout en cessant d’enfermer le sujet dans le tabou.
Pour M. Boubacar Sèye, il faudra, en effet, « organiser une conférence africaine sur la migration » afin de redonner de l’espoir à cette jeunesse qui a l’œil rivé sur l’Occident. Victimes qu’ils sont de la pauvreté et des tares de la mauvaise gouvernance sur le continent.
Une rencontre de laquelle pourrait se dégager une architecture de paix, de sécurité entre les peuples en vue d’une meilleure circulation. « Au sein de l’Afrique même qui est une terre de mobilité, il y a des problèmes« , regrette-t-il.
L’Union Africaine (UA) a le devoir aussi d’y jouer sa partition pour une meilleure prise en charge de cette jeunesse perdue. Celle-ci a, d’après M. Sèye, un taux de pénétration de plus de 50%, le double en moins de dix ans.
Les pays africains devraient travailler à harmoniser leurs positions sur la question de l’immigration, parce qu’elle est un phénomène transversal, afin d’arriver à « un parallélisme des formes » pour de nouvelles perspectives panafricaines, une révolution épistémologique et socio-culturelle.
Ce qui aiderait à reformater les esprits en y ôtant de surcroît l’idée selon laquelle un avenir n’est pas possible sur ce continent. « Au-delà des solutions économiques, nous proposons de nouvelles modalités de sensibilisation, avec des outils d’aide à la prise de décisions« , dit M. Sèye.
Pour Identifier les causes profondes du mal…et situer les responsabilités…
Cette paupérisation d’une importance couche de la population à dominante jeunes – ces derniers en constituent les plus de 60% (-de 24 ans) -, avec un taux de chômage de 35%, ont perdu tout espoir de se réaliser sur le continent. L’instinct de survie les pousse alors à emprunter les chemins périlleux de l’immigration. « Et aujourd’hui, puisque c’est un fait social, pour mettre tout le monde à l’aise, on dira que les responsabilités sont collectives », lance Boubacar Sèye qui incrimine autant les États, les institutions que les familles qui font de la migration un projet non plus individuel mais collectif. « Ce qui se passe, c’est comme s’il s’agissait d’un déménagement vers l’Occident. Regardez la destination États-Unis d’Amérique !« , s’alarme-t-il.
Et quand le projet échoue, c’est le désespoir familial, une totale désolation, avec des larmes, une absence de sommeil et d’appétit qui exigent une assistance psychologique afin de faire face à l’absence due à la mort ou à la disparition soupçonnées.
L’autre cause – citée tantôt – est cette tendance en Occident à se barricader, à ériger des murs, violant le droit aux autres à circuler, alors que, paradoxalement, on parle de mondialisation.
« Aujourd’hui, toutes les régions du monde sont concernés soit par le départ, soit par le transit, soit par l’accueil de personnes aux profils de plus en plus variés« , confie notre interlocuteur. Cette Europe qui, outre ses barrières juridiques, politiques et physiques, « externalise le droit d’asile et les flux migratoires« . Une façon pour elle, analyse M. Sèye, de trouver une solution au problème, même si c’est de façon hypocrite. « Il y a un rapport des Nations-Unies datant de 2001 qui dit que si l’Europe veut maintenir son ratio actif en 2050, il lui faudra accueillir plus de 160 millions de migrants« , explique-t-il.
Pour lui, contrairement à ce que l’on cherche à faire croire, la migration est porteuse de stabilité social, économique et est un puissant levier de recomposition des sphères d’influence. Cependant, puisque certains défendent l’idée d’une Europe judéo-chrétienne, l’Islam et la migration sont perçus comme des menaces. Par conséquent, la notion de diversité en prend un coup.
La réforme du droit d’asile s’impose donc « dans un contexte de mobilité croissante des populations« , en y intégrant d’autres critères de sélection, tout en luttant contre les peurs et paradoxe libéral cité ci-haut, pense le Représentant d’HSF qui craint, avec l’adoption du Pacte Européen, une vague de rapatriements forcés vers l’Afrique, dans un proche avenir.
Frontex, une institution qui se militarise…
La lutte contre l’immigration clandestine corse de plus en plus ses méthodes. D’après les confidences de Boubacar Sèye, Frontex est dans une logique de militarisation depuis le départ de Fabrice Leggeri. Un homme dont le nom figure sur la liste du Rassemblement National pour les élections européennes de cette année (juin 2024).Son successeur est Hans Leigteins, un cadre de l’armée néerlandaise, qui a choisi de militariser le Frontex.
« D’ici 2027, il est prévu une armée de 10.000 hommes. Le journaliste Monroe fait savoir l’achat de 2500 armes automatiques et de couteaux, à raison de 3,76 millions d’€ auprès d’une entreprise autrichienne« , révèle M. Sèye qui se demande comment on peut régler une crise migratoire avec des armes. Le scandale de plus étant que ce sont les Africains eux-mêmes qui seront armés pour mener la répression contre les migrants. Une situation troublante amenant « les responsables« , comme il les désigne, à demander l’ouverture d’une enquête, dans un contexte de dépôts de plusieurs plaintes contre ce dispositif européen de lutte contre l’immigration. « Nous accusons Frontex de jouer avec la vie des migrants« , lâche-t-il.
Le retour volontaire : une source de frustration…
Ils sont nombreux, jeunes garçons et filles, à souhaiter un retour au bercail, après des péripéties assez douloureuses dans des pays maghrébins la plupart, avec toutes les sévices, humiliations liées au racisme anti-noir, et au manque de moyens financiers pour poursuivre l’aventure.
C’est dans ces circonstances assez alarmantes que l’Organisation internationale des migrations (OIM) intervient pour aider ceux d’entre eux à retourner dans leurs pays respectifs. Quand bien même l’initiative est louable, il semble qu’elle se heurte au non-respect des engagements de l’institution.
Bon nombre de migrants, une fois réinstallés dans leurs pays, se plaignent de l’hypocrisie de la démarche de l’OIM, accusée de profiter de leur vulnérabilité pour les récupérer afin de « régler ses problèmes internes« .
En ce sens, estime M. Sèye, un audit devrait être fait, vu que les plaintes contre sa gestion des retours s’accumulent dans le bureau d’HSF. Il lui est reproché d’exploiter ces moments difficiles des migrants pour demander de l’argent pour le rapatriement de ces derniers et éventuellement de leur formation, pour après les laisser en rade. La conséquence étant la tentation de la répétition du départ vers l’Europe.
Le grand paradoxe est l’image de l’insolence de la richesse des dirigeants africains qui ont chacun un patrimoine estimé à des milliards d’euros et/ou de dollars, alors que ceux de l’Occident n’oseront jamais adopter une telle attitude. Pour M. Sèye, « on pourrait même les accuser de crime contre l’humanité ».
Bassirou NIANG, correspondant Immigration FM, Sénégal
Félicitations à Horizons sans frontières pour cette bataille humaine